• Excusez  moi, Monsieur, je vous entends mal.

    Ma fille m’ a fait changer d’amplis, pour du numérique ,

    Et cela marche beaucoup moins bien que ce que j’avais avant.

    On m’avait bien dit que c’était un peu tôt pour le numérique !

     

    Vous savez, j’en ai vu d’autres depuis ma naissance,

    Et pourtant je n’ai jamais quitté le quinzième !

     

    Mon père était le dernier d’une famille qui vivait en Suisse romande

    Des protestants dont les aïeux avaient été chassés à la révocation de l’édit de Nantes,

    L’héritage paternel amena des bisbilles,

    Aussi passa-t’il seul le col de La Fourca pour tenter sa chance en France en passant par l’Italie. 

    Il fut militaire au Tonkin, à la fin du dix-neuvième siècle.

    A sa retraite il avait pris un poste réservé dans l’administration.

     

    C’était un homme bon, qui ne supportait pas les commérages.

    C’est curieux, ce sont bien mes relations avec mes parents,

    Spécialement avec mon père,

    Qui me laissent les plus émouvants souvenirs !

    Peut-être est-ce parce que j’étais alors adolescente ?

    Mon père ! Il m’a tout appris, la géographie, l’Histoire, le goût de la lecture, des voyages….

     

    Curieux, et un peu injuste, car j’ai été mariée,

    J' ai eu deux enfants. Cependant, je ne suis pas grand-mère.

     

    Mon mari, qui était d’origine Hongroise, aimait les voyages. Grâce au C.E. de sa banque,

    Nous avons « fait » tout le Moyen-Orient et une bonne partie de l’Asie.

    Mais l’Amérique et le Japon,  il n’aimait pas,

    Nous avons cependant visité le Canada.

     

    Il est mort d’un cancer du poumon il y a vingt ans.

    Notre médecin traitant pensait au début que ce n’étaient que des rhumatismes,

    Il avait fallu que j’insiste auprès d’un remplaçant pour que des analyses soient faites,

    Et quand elles furent faites, ce médecin traitant continuait à minimiser !

     

     

    J’ai eu la chance d’assister à l’éclosion de la Caisse d’allocations familiales

    C’était bien avant la guerre. Des grands patrons d’industrie alimentaient

    Une caisse commune permettant de secourir les familles,

    Qui était d’ailleurs toujours bénéficiaire.

     

    Ils avaient créé une sorte d’administration,

    Comprenant quelques centaines d’infirmières,

    Et aussi des administratives, dont j’étais, pour appliquer leurs décisions.

    J’ai adoré ce métier.

    Après la guerre, l’Etat a pris le relai, les infirmières sont devenues des assistantes sociales,

    Et je suis restée dans la nouvelle structure.

     

    Il y a quelque chose que j’aime par-dessus tout,

    C’est ma ville de Paris, où je suis née, que je n’ai jamais quittée.

    Je suis depuis mes dix-huit ans rue de Javel ,

    Tout près de ce fleuve si agréable, la Seine….

     

    A cette époque, le quartier était encore la banlieue.

    Il y avait les usines Citroën, des entreprises d’eau de Javel

    Et des champs cultivés pour le maréchage.

    Et puis un théâtre dans la rue du même nom,

    Où l’on jouait des pièces sans prétention,

    Comme « La pocharde « , ou « A la grâce de Dieu » .

    La rue du Commerce existait déjà, avec son église à l’extrémité.

     

    Et encore il y avait le cinéma, les films muets

    Accompagnés au piano, souvent en plusieurs épisodes (« Les 3 mousquetaires en 6 épisodes !). Les opérettes sont venues plus tard,

    Mais tout cela a disparu…

     

     

     


    votre commentaire
  • Quel malheur de naître en 1928, douze ans après c’était la guerre,

    Pas moyen de faire des études, et la faim qui vous tenaille !

     

    J’ai quand même appris à faire du pain, chez un oncle en Seine et Marne

    En quarante-quatre, j’ai rejoint  les FFI, nous avons réussi

    A faire sauter un train de munitions, des centaines d’Allemands sont morts.

    J’ai aussi fait un bout de guerre, du côté de Tours.

     

    Ce qui m’intéressait, c’était d’apprendre, mais de trop jeune

    En quarante, maintenant, j’étais trop vieux.

     

    Avec ma femme, nous avons repris Une boulangerie, rue des Arts,

    Un des premiers clients avait été le grand Corneille.

    Faire du pain, cela ne me passionnait pas,

    Mais il fallait bien, lever à cinq heures, coucher tôt.

     

    Mes deux garçons, je les ai poussés,

    L’un est avocat, l’autre était professeur.

    Ils ont réalisé ce dont j’avais été privé.

    Etait professeur ! Car il est mort à la quarantaine,

    C’est inhumain de voir son fils dans un cercueil.

     

    Maintenant veuf je vis dans le même immeuble

    Que mon fils avocat, qui vit seul,

    Et que ma belle fille, veuve,

    Et mes deux petits  enfants.

     

    Tous ces appartements m’appartiennent,

    Pas pour longtemps, car maintenant,

    La fin est proche, déjà mes jambes me quittent!


    votre commentaire
  • Quand j’ai frappé à votre porte,  vous lisi-ez,  

    Mais sembli-ez content d’avoir à qui parler,

    Je vous ai demandé si je pouvais m’asseoir,

    Et vous m’avez raconté toute votre histoire .

     

    Votre vie c’était le rail, les trains, les essieus.

    Vous aviez débuté à l’age de quinze ans

    Le dix Septembre mille neuf cent cinquante deux,

    Votre travail c’était d’ accrocher les wagons.

     

    Mais vous avez eu un accident au boulot,

    Un gros ressort vous avait labouré le dos,.

    Vous avez fait une formation d’aiguilleur,

    On pouvait faire confiance à votre rigueur.

     

    Vous aimi-ez l’odeur du fer et de la rouille,

    De la vapeur brûlante, du charbon et des huiles,

    Vous trouvi-ez un sens  au service public,

    Votre vie bien que modeste, était très utile.

     

    Vous admiriez de loin les conducteurs de train,

    De vrais seigneurs, chauffeurs et mécanici-ens.

    A cette époque ils n’ avaient pas de pare-brise,

    Et se penchaient dehors de la locomotive.

     

    Tout cela est fini, définitivement,

    Les aiguillages sont pilotés sur écran,

    Par des technocrates en costume cravate,

    Ca fait que les vrais travailleurs n’ont plus leur place.

     

    Prendre le TGV, c’est pour vous vraiment rare,.

    Vous préfèrez de beaucoup les vieux tortillards,

    On y retrouve  tous les parfums du vieil âge,

    Le tac-tac-tac des rails, des nombreux aiguillages.

     

    Vous vous êtes levé,  je suis parti,

    Après vous avoir dit  grand merci.

     


    votre commentaire
  • Nous avons commencé par évoquer les familles nombreuses d’autrefois, et dans celles-ci les « ratés de la famille », et je disais que j’avais eu, étant adolescent, une certaine crainte d’en être un.

    Vous avez alors évoqué le cas de votre plus jeune frère, qui avait une malformation au pied, un « pied bot » comme on disait. Mais vos parents étaient tellement attentifs à son égard, que le « raté », si l’on peut parler ainsi, fut l’avant dernier, qui justement a souffert de cette trop grande attention portée à son frère, et qui, à lui, lui manquait. Cependant, il n’a été « raté » que quelques années, et a mené une vie d’adulte tout à fait normale.

                    Votre famille était « recomposée », comme on dit maintenant. Votre frère aîné Pierre était en fait un demi-frère, mais il vivait avec son père, avec vous. Et vous n’avez porté le nom XXX que quelques temps après votre naissance, car votre père ne pouvait pas vous reconnaître de par la loi. Ce qui n’empêchait nullement la chaleur familiale.

                    Votre père avait commencé à France-Soir comme typographe, puis avait monté les échelons de la hiérarchie un à un, pour finir rédacteur. Il connaissait bien le PDG fondateur Pierre Lazareff, et aussi ses complices à la télévision, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Igor Barrère (« Cinq colonnes à la une »). Il vous emmenait parfois rue Réaumur, d’où sortait le journal dans ses différentes éditions. Vous aimiez voir tournez les « rotatives », de marques Boss  (50000 exemplaires à l’heure), ou Wood (40000).

                    Et votre mère travaillait au journal « Elle », fondé par la femme de P.Lazareff, et qui sortait aussi des ateliers de la rue Réaumur. Vos parents étaient, il faut bien le dire, trop absorbés par leurs travails respectifs, et nous avions une personne à la maison. Cette quasi-absence ne nous empêcha pas de faire de bonnes études, et d’avoir par la suite de bonnes situations ; cependant elle est peut-être à l’origine d’une certaine fragilité et de quelques problèmes rencontrés dans nos vies d’adultes. Ne serait-ce pas là la source lointaine  .des divorces de vos frères et sœurs (vous êtes resté célibataire).

                    Cependant, souvent, le Dimanche, vos parents vous emmenaient au restaurant. Ils aimaient spécialement « La Coupole », boulevard du Montparnasse ; ils s’étaient connus au « Dôme » voisin. En effet, il y avait au premier étage un « dancing » comme on disait alors, une grande salle où l’on dansait le tango, la valse et autres paso-dobble . Quand vous avez grandi, vous aussi montiez au premier étage.

    Vous habitiez rue de Rivoli, non loin de la « Samaritaine » et vos parents n’avaient, du fait des promotions de votre père,  pas de problème d’argent.  Votre appartement avait une grande surface, mais seulement trois pièces, pour deux parents et cinq enfants, ce qui était insuffisant. Aussi votre père décida-t’il de déménager pour un grand ensemble à Fresnes, un des plus modernes de France à l’époque, et dont les qualités étaient vantées à la page publicité de France-Soir.

    Avec quelques copains, vous avez acheté un garage dans la résidence, où vous avez organisé des « surprise-partys ». Là on dansait les danses modernes, le rock, le twist et autre be-bop. Ce qui ne vous empêchait pas, quand vous alliez en Dordogne, où vos parents avaient acheté une maison, de danser les valses musette et la java. Les copains en étaient tout étonnés !

    Votre vocation, c’était d’être menuisier, et plus encore menuisier ébéniste, c’est à dire de faire des meubles de style, et pas seulement du genre IKEA. Vous avez fait de longues études, six ans. Pour vous c’est facile de reconnaître le bois dont sont faits les meubles, que ce soit en bois dur (chêne, hêtre), en résineux (sapin, pin) ou en bois tendre (peuplier, saule). Vous nous avez parlé des bois précieux, d’origine généralement tropicale, que l’on ne donne pas à travailler aux apprentis : les deux catégories d’ébène (le dernier avec des rayures marron), le palissandre, le buis qui se travaille en petite quantité, et, plus étonnant, la ronce (oui, celle qui donne les mûres), un bois très dur !; et vous nous avez appris des termes comme « alèse » (bords de table en bois), et dit que le travail du chêne n’était pas sans danger ( son tanin, qui est bon pour donner du goût aux vins, peut-être nocif en poussière).  Vous nous avez confié que les plans sur ordinateur, ce n’était pas du tout votre truc : un bon plan sur du papier, le meuble est presque déjà fait.

    Le travail bien fait, voilà votre fierté. Cependant, il vous est une fois (une seule !) arrivé de faire un fiasco avec un meuble. Votre patron cependant a voulu vous garder : une erreur se pardonne, deux, c’est moins facile.

    Des patrons vous en avez eu jusqu’en 1976. Cette année-là, vous avez repéré près de l’Hôtel de ville de Paris, votre quartier, une maison où se passaient toutes sortes d’examens pour rentrer dans le service public de la mairie de Paris, et vous avez tenté votre chance. Le premier jour, épreuve écrite : pour vérifier que vous savez lire et écrire. Le deuxième jour, atelier avec tout d’abord une pièce à réaliser avec du bois dégauchi et raboté, puis une autre pièce avec du bois brut. Enfin, le troisième jour, oral : on vérifie que vous avez réellement de l’ancienneté dans le métier, et que, par exemple, vous connaissez les différentes sortes de bois, et les différents outils. Il y avait deux places, cinquante candidats, et vous avez été pris ! Et c’est dans ces fonctions que vous avez pris votre retraite.

    Depuis ce temps, vous connaissez beaucoup de lieux officiels de la ville de Paris, dans lesquels vous avez des souvenirs. Par exemple, c’est vous qui avez réalisé, avec un collègue, le parquet de la bibliothèque de l’institut de France.

                    Revenons un peu en arrière. Votre service militaire, vous l’avez fait dans la marine et les îles du Pacifique. Le voyage en avion pour ces contrées lointaines comprenait des escales à Athènes, Colombo, Singapour, Saïgon (ou Pnom Penh suivant les conditions politiques au Viet-Nâm), Auckland, Nouméa, pour une arrivée à Tahiti. A cette époque, vers 1970, la France faisait des essais nucléaires à Muruora, sous l’eau, puis sous terre et il fallait éviter les intrusions indiscrètes non désirées sur le site. Votre bateau était une barge de débarquement très longue, sans quille (donc avec force roulis !), et la mission était, hormis la surveillance de la région, le ravitaillement de l’armée : vous pouviez transporter aussi bien des camions, des avions en pièce détachées, que tout simplement de la nourriture. La vie à bord vous a plu, et vous avez « rempilé » une fois.

     La France payait grassement tous ceux qui participaient aux essais, aussi bien les militaires (ceux qui avaient « remplilé ») que les populations civiles ; récemment, une émission de télévision a montré que ces civils avaient carrément été pris comme cobayes humains, à leur insu : durant les essais, ils étaient conviés à une séance de cinéma dans un « hangar à cinéma » dont la protection aux radiations était dérisoire par rapport à celle qui entourait l’état major. Le but était de savoir comment les populations résistaient aux radiations ; la réponse a été dramatique : tâches bleues pour ceux qui avaient l’imprudence de se baigner, suivies de cancers, cancers se déclarant bien après les explosions. Bien sûr, en tant que militaire, vous ne pouviez connaître ces agissements et étiez de toute façon tenu au secret ; vous étiez très impressionné par ces gigantesques explosions, dont vous ressenties l’onde de choc et admiriez le magnifique champignon depuis votre bateau situé à quatre cents kilomètres. Finalement, après été blessé aux jambes par des coraux au cours d’une séance de plongée sous-marine pour l’inspection d’une coque de navire, et avoir été très bien soigné, vous êtes revenu à la vie civile.

                    Parallèlement, vous avez beaucoup lu, et votre culture générale est impressionnante. En 1994, vous avez concouru à « questions pour un champion ». Il y avait d’abord une phase éliminatoire, qui se passait avec une cinquantaine de concurrents dans une mairie. Il vous fallait répondre, en cochant des cases, à cinquante  questions. Vous avez bien répondu à quarante en une d’entre elles, et vous voilà embarqué à la télé, en compagnie de Julien Le Pers. Vous avez passé sans trembler deux tours, ce qui est tout de même un excellent résultat. Vous avez gagné des dictionnaires, et aussi un week-end pour deux dans un grand hôtel d’une ville de votre choix.

                    Et vous voilà parmi nous, suite à des problèmes de logement et à une insuffisance respiratoire qui prend parfois des proportions dramatiques et que seul l’hôpital peut gérer. Vous aimeriez vivre maintenant dans un foyer logement, qui vous laisserait toute l’autonomie dont vous êtes capable, cependant il faut que vous puissiez déclencher une alarme en cas d’étouffement (ces crises vous les sentez venir, mais non soignées rapidement, elles sont extrêmement graves), et il n’y a que les maisons de retraite qui sont équipées pour cela. Aux dernières nouvelles, vous avez trouvé un petit studio dans une maison de retraite, qui ressemble à un foyer logement, mais qui vous donne la possibilité d’appeler au secours le cas échéant.

     

     


    votre commentaire
  • Votre visage exprime souvent le plaisir,

    Plaisir d’être, de marcher, de manger, de savoir.

    Votre œil soudain se fixe dans le vague,

    Quand une pensée ou un souci passe.

     

    L’idée de la mort vous fait vraiment sourire.

    La mort, vous l’avez frôlée pendant dix-sept heures,

    Dans le coma, vous étiez si bien, sans souffrir,

    Vous pouvez affirmer qu’elle ne vous fait pas peur.

     

    Car vous avez vécu une vie très riche,

    Mais ce n’était pas UNE vie, mais plutôt DEUX ou TROIS .

    Après une enfance en Bretagne, vient la P.M.,

    A la deuxièm’ D.B., parachute et discipline.

     

    A la frontière Tunisienne, pendant la guerre d’Algérie

    Vous étiez capitaine à la clôture électrique,

    Vous prîtes parti contre de Gaulle, ce traitre,

    Car vous étiez à fond pour l’Algérie Française.

     

    Vous voilà ensuite au Canada pour compléter

    Votre doctorat en droit. Comme vous étiez fort

    En géo, vous avez dessiné la frontière

    De Saint Pierre et Miquelon, reconnue à New-York.

     

    Vous étiez souvent en mer sur un grand navire,

    Où vous faisi-ez de l’océanographie,

    Et vous aviez une émission à la Radio.

    Et entre temps, vous épousi-ez une Russe !

     

    Retourné en France, vous voilà en politique,

    A droite, dans le septième, à Paris.

    Et c’est là que la mort a failli vous surprendre,

    Mais il lui faudra encore longtemps attendre.

     

    Car de la vie, vous goûtez beaucoup les fruits,

    Vous passionnant pour Einstein et les Curie,

    La géographie, la physique, la politique,

    Et vous êtes le cerveau de votre parti,

     

    Mais surtout vous aimez...

    Vous promener longuement dans Paris.

     

     


    votre commentaire
  •  Vous êtes mère de cinq enfants,

    Quatre garçons plus un cinquième,

    Un bon copain du quatrième,

    Abandonné de ses parents.

     

    Et vous les avez élevés

    Tour en exerçant le métier

    De pédi-âtre. Et la frâtrie

    A surmonté ses jalousies.

     

    Tout roulait dans votre famille,

    Quand votre mari fut victime

    D’un infarctus qui fut fatal,

    Une maladie famili-ale.

     

    Les derni-ers avaient sept ans,

    Toute seule, vous avez géré

    Les étud’ des adolescents,

    Souvent paré au plus pressé.

     

    Votre métier est magnifique.

    Mais le plus dur finalement.

    Est d’annoncer à des parents,

    Que leur enfant a un gros hic !

     

    C’est alors qu’un mal invalidant

    Qui évolue sournoisement,

    Vous a frappé. Et vous voici

    Venue chez nous pour un répit.

     

    Je voulais par ces mots vous dire

    Toute mon admiration.

     


    votre commentaire
  •          Vous êtes née en 1914. Ce jour-là, le concierge vint réclamer son « terme », c’est à dire le loyer de trois mois. Mon père lui répondit vertement qu’ayant eu une fille dans la nuit, il était fatigué, et qu’on veuille bien repasser plus tard. C’est ainsi que vous avez longtemps été celle qui « était née le jour du terme ».

    Vous êtes de la région Lyonnaise, plus exactement de Reyrieux, dans l’Ain, à vingt-cinq kilomètres de Lyon, où vous passiez toutes vos vacances chez vos grand-parents. Votre grand-père, parti de rien, avait débuté au Crédit-Lyonnais, et avait monté presque tous les échelons ; si bien qu’il habitait les Champs Elysées, du côté de l’Etoile ; c’est là que vous avez vu le défilé de la Victoire en 1918, et c’est peut-être ce jour-là que notre vocation patriotique est née.

     Vos grand-parents  avaient acheté à Reyrieux une propriété d’une vingtaine d’hectares, avec des bois, mais aussi et surtout des vignes qui donnaient un excellent vin, qui méritait d’être appelé Beaujolais.

    Cette propriété revint à votre père à leur mort, bien que la sœur de ce dernier aurait bien voulu la posséder ; votre père s’arrangea avec elle, de telle façon qu’elle pouvait venir quand elle voulait, avec ses quatre enfants.

    Comme vous aviez quatre frères et sœurs, un grand frère, né en 1912, un petit frère, né en 1917, et deux petites sœurs, nées en 1919 et 1923, vous vous trouviez donc souvent neuf enfants dans la propriété pour les vacances, ambiance garantie. Votre mère se mettait parfois au piano, et vous dansiez les quadrilles de cette époque. Et le frère de votre mère, qui n’avait malheureusement pas pu avoir d’enfant, se mettait parfois à chanter.

    Non seulement vous aviez pendant ces vacances des frères, sœurs, cousins, cousines,  mais en plus beaucoup d’amis. Un grand jeu, quand vous aviez douze ans,  consistait à aller sur l’île d’une pièce d’eau dans la propriété. Il fallait passer sur un « radeau»  bricolé, et en se tenant à des ficelles. Votre mère vous avait interdit de le faire, elle craignait que vous ne tombiez à l’eau. Evidemment, vous l’avez fait quand même. Sur l’île se trouvait Antoine de Cossé-Brissac, qui vous tendait la main pour vous aider à passer sur la terre ferme.  Vous avez glissé, et patatras, vous voilà dans l’eau. Il n’y avait pas de profondeur, donc pas de danger. Mais vous étiez trempée. Direction  le lit, on appelle le médecin, et votre mère vous prescrit de garder la chambre une semaine, rien de moins. Mais vous n'étiez pas malade du tout, et, après négociations, vous avez pu continuer à jouer normalement.

    Comme pour beaucoup de familles de cette époque, la religion était une nécessité. Il vous souvient d’avoir été dans les Dombes, à Ars, pour la cérémonie de canonisation du curé d’Ars.

    Votre occupation préférée pendant le mois de Septembre avait trait aux vendanges. Des saisonniers arrivaient au château, et vous alliez les aider à couper les grappes. Votre mère était très stricte : il n’était pas question pour vous de boire du vin, ni même du « mou », ce jus de raisin au début de sa fermentation.

    Pendant les classes, vous viviez à Paris, rue Récamier, près de Sèvres-Babylone ; chose encore rare à cette époque, vous aviez le chauffage central. Votre père  était professeur à Sciences-Po, et avait une passion pour les vieux livres. Il était « bibliophile ». Il achetait des livres, et en revendait parfois  à Drouot.  Cette passion agaçait parfois votre mère, qui pensait que, ayant un bon métier, une femme et cinq enfants, cela aurait dû lui suffire.

    Vous poursuiviez vos études dans une école  privée, en vue d’obtenir le brevet élémentaire ; le bachot était réservé aux garçons. C’est là que vous fîtes la connaissance d’une certaine Anne-Marie Thabut, que vous trouviez très drôle. Ensuite vous avez suivi une formation pour devenir infirmière. Vous eûtes le diplôme de premier degré (un an de spécialisation), et bien plus tard, celui d’infirmière d’état (deux ans d’études supplémentaires).

    C’est que la guerre avait éclaté. En tant que fille de blessé de guerre (votre père faillit perdre une jambe pendant la guerre de 14, et marcha un certain temps avec une canne, celle dont vous vous servez maintenant), vous pensiez qu’il fallait vous dévouer pour la patrie. Vos deux frères étaient au front, et vous vous engageâtes dans les ambulancières de la croix rouge, et commençâtes par passer le permis poids lourd, ce qui, soit dit en passant, vous permettait de « faire la pige » aux garçons. Vous avez réussi à convaincre vos deux soeurs de venir vous rejoindre, si bien que votre mère se trouvait un peu seule à la maison, se demandant quand donc ses enfants reviendraient.

    Votre activité s’intensifia à la fin de la guerre : il fallait aller vider les camps de prisonniers et les camps de concentration un peu partout en Europe de l’Est (Dachau  par exemple, près du « nid d’aigle » de Hitler à Berchtesgaden, que vous avez visité) . Tous les éclopés , il fallait les ramener en France. Vous aviez des fourgonnettes militaires, de marque Austin ou encore Fordson, fournies généreusement par les Anglais, pas toujours très neuves, qui pouvaient contenir trois ou cinq brancards ; un infirmier s’occupait des malades et parfois vous étiez accompagnées d’un mécanicien. Quelquefois, les malades ne supportaient pas les cahots du voyage et exigeaient qu’on s’arrêtât ; quelquefois aussi, ils mouraient dans votre camionnette. Vous aviez des missions qui pouvaient aller jusqu’à 3000 kms, dans des territoires pas toujours bien sécurisés.

    Une mission commençait par un plan de mission, cartes à l’appui. Ce plan était difficile à faire, car l’état des  routes était difficilement prévisible : elles étaient souvent impraticables, parfois détruites (sauf les « autostrades » Allemands) , et il fallait prévoir des points de ravitaillement, en vivres et en essence. En tant que responsable d’équipe, vous participiez à l’élaboration de ce plan. Ensuite vous partiez, à deux ou trois ambulances, ou même une seule quand il y avait urgence. Les choses ne se passaient pas toujours comme sur le plan, il pouvait y avoir des pannes, ou bien un manque de nourriture : à vous de vous débrouiller, avec les armées alliées, ou bien encore dans les fermes, et vous sortiez les deux ou trois mots que vous connaissiez  en Allemand (certaines de vos collègues parlaient  cette langue, on se les arrachait). Votre vie, dans ces conditions, était dure, mais o combien exaltante !

    Le plus émouvant arrivait quand vous rameniez les prisonniers à l’hôtel  Lutetia, à Paris, à deux pas de chez vous. Les retrouvailles familiales, après tant d’années et tant de souffrances vous tiraient des larmes, et vous étiez, de plus, très fière de participer à ces moments de joie intense. Bien souvent, après ce temps d’intenses émotions, il fallait ramener ces ex-prisonniers à l’hôpital….

    Parmi vos collègues, se trouvait Anne-Marie Thabut. Cette dernière, en 1951, épousa un veuf ayant onze enfants. Et le cinquième de ces enfants, c’était….. moi, qui suis bénévole dans cette résidence.

    Vers 1947,  le besoin d’ambulancières devint minime, et votre association fut dissoute.

    Vos parents moururent, et malgré tous les efforts familiaux, il ne fut pas possible de garder la propriété de Reyrieux, et, d’après ce qu’on sait, les vignes ont été arrachées. Et puis tous vos frères et sœurs moururent à leur tour, et vous voilà seule de la famille, mais vos nièces s’occupent de vous, et vous êtes toujours alerte malgré votre grand âge.

     


    votre commentaire
  •  Votre Père, un juif Polonais, s ‘engagea

    A dix-sept ans dans l’armée Française.

    Il parlait le Russe, le Français et l’Allemand,

    Et servit d’interprète au maréchal Weygand.

     

    La guerre finie, il put en France émigrer.

    (la guerre de 14)

    Et exercer son métier de fourreur

    Vous êtes née en vingt quatre.et avez deux frères.

    Votr’ mère, qui était très belle, tenait rue Richer

    Un restaurant où, c’était l’époque, on chantait.

     

    Vous aviez seize ans quand éclata la guerre,

    Et vous vous êtes engagée dans la Résistance.

    le 25 Avril 1942

     

    La paix revenue, après un premier emploi ;

    vous vous un peu par hasard lancée dans la chanson,

    Passant d’une scène à une autre, en France pour des galas,

    (comme ce premier gala à Lille pour la fête des moules,

    Des tonnes de moules dans un hall de gare bruyant,

    Où il était impossible de s’entendre soi-même chanter)

    Et à l’étranger vous aviez des contrats

    Aux Etats-Unis, en Espagne, en Italie, au Canada,

     au Vénézuéla etc… toujours avec huit musiciens locaux,

    Et  dans la langue du pays.

     

    Aves votre voix de contre-alto,

     vous avez chanté toutes les chansons du

    Répertoire Français, Les trois Cloches, Mon légionnaire

    Le lycée papillon (pour les familles),….

     

    Vous aviez un faible pour les romances de l’époque,

    Mais vous chantiez aussi Aznavour, dont la sœur Aïda

    Etait votre copine d’école. De plus, vous aviez un physique de star.

     

    Il était écrit dans vos contrats que vous deviez faire salle comble

    Les trois premiers jours, et la maladie n’était pas prévue !

    Pendant ces nombreux voyages, vous ne perdiez aucun temps,

    Et continuiez par téléphone de vous tenir au courant des nouveaux chants,

    Dont vous faisiez vos propres arrangements avec votre agent.

    Il vous fallait être très active, car vos parents étaient partiellement

    A votre charge. Votre père était revenu de la guerre de 40

    Choqué : sur le front d’Italie, un shrapnel l’avait manqué de peu,

    Mais tué son meilleur copain. Et votre mère passait son temps à pleurer.

     

    ,

     

     

    Vous avez un nom de scène : Nadia Michels,

    Et vous êtes apparue dans plusieurs films,

    Dont le Danton de Andresz Wajda,

    Où vous apparaissez avec une robe sur mesures

     

    Et une cocarde, le tout  bleu-blanc-rouges

    Et faisiez chanter la Marseillaise à un

    Parterre de députés (des figurants),

    Que vous aviez fait auparavant répéter.

     

    Vous avez aussi participé à  la pièce de théâtre

    « Le dialogue des carmélites », à la Comédie Française, où

    Vous aviez la responsabilité de faire chanter le

    « Veni creator spiritus », en grégorien, à des actrices allant au supplice.

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Comment peut il se faire qu’à votre âge avancé,

    Quatre-vingt treize années, et vous en êtes fière,

    Vous ayez toujours un sourire sur vos lèvres ?

    Vous  aimez les bénévoles et leur racontez

     

    Combien votre passé fut rempli d’intérêt.

    Mille neuf cent dix huit, vous apparaissiez,

    Votre pére fut blessé cinq fois à la guerre,

    Et fit sa carrière dans les chemins de fer.

     

    Vous vous êtes montrée très vite un peu espi-ègle,

    Alors que votre mèr’ recevait des collègues,

    Vous sortiez par derrière et alliez pouponner

    Chez ces mêmes amies leurs enfants derniers nés !

     

    Depuis toujours vous avez aimé  la couture,

    Habillant vos poupées, puis faisant les rideaux,

    Taillant ensuite à votre mari des costumes,

    Même pour votre mariage, en guise de dot ?

     

    Ce mari était un copain de votre frère,

    Qui fuyait une ambiance chez lui délétère,

    Il portait l’uniforme de l’armée de l’air,

    Cet homme intelligent ne pouvait que vous plaire.

     

    Votre fille naquit au début de la guerre,

    Votre fils suivit quelques années après.

    Vous avez maintenant quatre petits enfants,

    Et de plus six arrière petits enfants.

     

    Après la libération, votre mari s’est

    Reconverti dans le pétrole, et occupait

    Des postes importants. Il parlait aux émirs,

    Aux banquiers, aux directeurs, aussi aux ministres.

     

    Combi-en de voyages avez vous faits ensemble ?

    L’Amérique du Nord souvent, celle du Sud,

    Venise, Rome, Naples, Londres, Athènes, Le Caire, Madrid,

    Toujours il y avait mati-ère à apprendre

     

    Comment vivent les autochtones, qu’est ce qu’ils mangent,

    Sont ils bruyants ou circonspects, comment ils dansent,

    Et quels sports ils pratiquent, quels musées ils visitent,

    Appendre, Appendre, Apprendre, c’est votre grand plaisir,

     

    Bien plus que la bonne chère (vous êtes fluette),

    Que les bijoux, jamais sur vous vous n’en portez.

    Quand même, vous aimiez l’ opéra, les opérettes,

    De celles qu’on pouvait écouter au Chat’let.

     

    En Algérie vous avez plus d’un an vécu,

    Mais vous qui sur les mœurs êtes du genre stricte,

    Qu’on méprise les arabes vous a déplu,

    Et vous êtes rentrés à Paris au plus vite.

     

    Vous aviez chacun votre caractère,

    Quelquefois vous montait tout à coup la colère,

    Mais ça ne durait pas, vous saviez pardonner,

    Vous n’éti-ez absolument pas  rancuniers !

     

    Il y eut cependant une tragique épreuve,

    La mort de votre fille, de maladie cruelle,

    Vous n’avez pas voulu la voir dans son cercueil,

    Et n’avez jamais pu vraiment vous en remettre.

     

    Et quand votre mari lui aussi est parti,

    Vous n’avez pas non plus pu le voir sans vie.

    Pour ses inventions beaucoup vous l’estimi-ez ,

    Et vous n’avez pas cherché à le remplacer.

     

    C’était un homme d’action doublé d’un chercheur,

    Qui dirigeait plus de quarante ingéni-eurs,

    On lui doit la ceinture de sécurité,

    Ce n’était pas aisé de vivre à ses côtés !

     

    Et vous voilà ici, si gaie malgré votre âge,

    Parfois vous tombez par terre, mais votre santé

    Est très bonne, vous vous êtes toujours bien portée,

    La mort peut bien venir, vous avez du courage.

     


    votre commentaire
  • Parfois les noms sont prémonitoires,
    Car vous êtes vraiment toute seule,
    Et vous vous appelez Chatelseul,
    Ne serait ce pas un peu bizarre?

    En vingt-quatre vous apparaissez,
    A Paris dans le quinzième,
    Toute jeune vous voyiez passer
    Les cavali-ers de la caserne

    Dupleix, qui étaient vraiment beaux,
    Et défilaient au pas ou au trot,
    Il fallait attendre qu’ils soient passés,
    Pour que vous puissiez traverser.

    Pour vos trois ans vous eûtes un frère.
    Votre père était un peu sévère,
    Un peu lointain et casani-er,
    Votre mère etait beaucoup plus gaie.

    Vous alliez en colonies de vacances
    Reservées aux fiilles, et près de Coutance,
    Vous ne vous y déplaciez qu'a pieds,
    Et y avez appris a nager.

    A vos seize ans débute la guerre,
    Elle vous prend soudain votre mère,
    Victime d'une urémie banale,
    Qui n'aurait pas du être fatale.

    La guerre vous a pris votre mère,
    Alors qu'elle vous était nécessaire,
    Et vous a interdit les études,
    Vous étiez sous la menac’ des brutes.

    Vous deviez gérer le quotidien,
    Faire la queue pour le lait, le pain,
    Les légumes, et faire la cuisine
    Tout cela vous a marquée a vie.

    En quarante-quatre, pres de Limoges,
    Vous rouliez en vélo et surprise!
    Vous avez été cernée par des Boches
    Qui vous ont gardée dans une remise

    Jusqu'a la nuit tombée. Un jeune homme
    Qui tentait de s'enfuir fut tué,
    Sans pitié.


    Vous êtes devenue secrétaire,
    Mais comme vous éti-ez jolie,
    Certains patrons vous poursuivaient
    D'assiduités pas toujours polies.

    Alors vous changiez de situation,
    Passant de la chasse sous-marine
    Aux assurances, à la gestion.
    Votre coeur pour un homme battait parfois,

    Mais pas de chance il était deja marié.
    Vous trouviez sur le tard un mari,
    Qui une fille avait engendré,
    Il était très doux, et très gentil.

    Vous avez emménagé chez lui,
    En ce lieu ou nous sommes allés,
    Dont vous avez garde l'usufruit,
    Et que vous n'aimez pas voir squatté.

    C'est un lieu plein de votre passé,
    Des meubles anciens, des penderies
    Pleines de robes, de manteaux, d'habits,
    Mais un carreau est toujours cassé.

    Nous avons marché de nombreuses fois,
    Votre santé vous pose problème,
    Mais vous adorez les bords de Seine,
    Et pour moi c'est toujours une joie.

     

     


    votre commentaire
  • Monsieur X relevait d’un AVC.

    Il avait exercé des fonctions élevées dans une association caritative,

    Mais ne voulait plus entendre parler de tout cela,

    Et bien au contraire adoptait un langage grossier,

     

    Et des manières très impolies.

     

    Il était lui était interdit de rentrer chez lui,

    On craignait sans doute qu’il s’y barricade…

    Mais il avait, disait-il des choses urgentes à régler,

    Qui nécessitaient des papiers qu’il avait dans son bureau.

     

    Empêcher une personne qui a de bonnes jambes de sortir

    Est pratiquement impossible,

    A moins d’utiliser la force brutale,

    Ce qui n’est pas le genre de la maison.

     

    Je devais cette après-midi accompagner une dame à la chapelle pour la messe.

    Monsieur X me collait, et voulait absolument sortir.

    J’utilisais alors un stratagème : je montai d’un étage, avec la dame,

    Pour utiliser l’ascenseur depuis le sixième.

    Mais Monsieur X nous colla si bien que je fus obligé de le prendre avec nous.

     

    Arrivé à la chapelle, je lui présentai le prêtre,

     Mais cela ne l’intéressait pas :

     Il tourna les talons, et sortit dans la rue.

     Il faisait un froid sec.

     

    Que faire ?

     Je choisis la discrétion : je le suivis de loin,

     Jouant les inspecteurs de police des romans de Simenon.

     Il remonta l’avenue, continua dans la même direction.

     Il avisa un recoin dans la rue,

     Et y fit une pause pipi.

     

    Je restai à distance, amusé par les regards dégoutés des passants.

     

    Puis il reprit son chemin jusqu’au métro Cambronne,

     Et prit l’avenue du même nom, qui faisait avec la précédente un angle aigu.

     Il continua jusqu’au bout de cette rue, dépassa la rue de Vaugirard.

     J’étais inquiet car je ne connaissais pas bien le quartier.

     Je repérais les noms de rue,

     Et comme il y avait du soleil, je voyais que nous allions vers le Sud.

     Il s’arrêta dans un centre de radiographie,

     Présenta des papiers à un guichet.

     

    Je restai dehors. Il ressortit, prit une petite rue,

     Et arriva dans une résidence qu’il connaissait visiblement :

     C’était chez lui.

     

    Je pénétrai dans l’entrée avec lui,

     Et me fis voir, ce qui ne l’étonna qu’à moitié.

     Pourtant, il me lança une bordée d’injures.

     Le gardien de l’immeuble vint le trouver,

     Lui adressa des propos chaleureux,

     Puis une de ses voisines, très heureuse de le revoir.

     

    Il n’était pas question pour moi de monter avec lui chez lui.

     Aussi lui dis-je que je l’attendais en bas.

     Il monta dans les étages.

     

    J’étais bien embarrassé.

     

    Le gardien repassa, je lui demandai du secours.

     Il me répondit qu’il devait faire un autre travail,

     Mais que sa femme, dans une demie heure pourrait m’aider.

     Il suffisait que je sorte et aille sonner de l’autre côté du pâté de maison,

     Au 26.

     

    Au bout d’un bon quart d’heure, j’allais sonner à ce 26.

     Pas de réponse. Je revins.

     Miracle, la gardienne était là.

     Alertée sans doute par son mari, elle était montée chez Monsieur X,

     Et avait trouvé porte close. Elle n’avait pas de passe-partout.

     

    Je lui dis que je pensais que Monsieur X était chez lui.

     Nous montâmes, elle sonna, re-sonna,

     Et nous entendîmes des bruits à l’intérieur. Il était bien là.

     

    C’est alors qu’opéra le charme féminin :

     « Monsieur X, c’est Marcela, je suis bien contente de vous revoir,

     Soyez gentil, ouvrez moi s’il vous plait…. »

     Il finit par ouvrir.

     

    Et Marcela le convainquit de repartir.

     Je la remerciai chaudement, bien que discrètement :

     Cette femme m’avait sorti d’un bien mauvais pas !

     

    Nous repartîmes donc,

     Il repassa par la boutique de radiologie,

     Ressortit, et prit un autre chemin qu’à l’aller.

     Toujours inquiet, je m’approchais et lui dis que ce n’était pas par là.

     Je fus accueilli par une bordée d’injures.

     Et il continua. Je restai à distance.

     

    Nous passions dans des petites rues que je ne connaissais pas,

     Mais je savais, en me référant au soleil couchant,

     Que nous allions plutôt vers le Nord, la bonne direction.

     

    Il s’arrêta dans un bistrot et but une bière.

     Je le surveillai de dehors ; je ne savais pas s’il avait de quoi payer !

     

     Il ressortit, passa au rouge sur un passage piéton,

     Et continua. Nous passâmes devant la mairie du 15ème,

     Puis la rue Blomet, et la rue Mademoiselle.

     

    Je commençais à reconnaître le quartier.

     Nous nous trouvâmes dans la rue du Commerce, nous étions sauvés,

     Enfin, j’étais sauvé !

     

    Nous enfilâmes la rue du Théâtre,

     Pour arriver enfin à la Résidence , ouf,

     Après deux heures et demie d’un périple

     Qui m’avait stressé !

     

     En y réfléchissant après coup,

     Je pense que Monsieur X n’était finalement pas aussi atteint qu’on l’avait craint.

     Par exemple, il savait très bien se diriger dans son arrondissement.

     Lui restait son incivilité, qui n’arrangeait rien, c’est vrai.

     Nous, bénévoles, nous trouvons quelquefois devant des situations

     Difficiles à gérer!

     


    votre commentaire
  • Etant institutrice près de Constantine,

    A la Toussaint cinquante-quatre vous vîtes

    Des coups de feu, des gendarmes, des hommes fuir,

    Et de cela vous ne pouvez vous rendre libre.

     

    Tout cela avait commencé près de Sétif,

    Quand un autocar avait été pris d’assaut

    Par des « fellaghas » qui tuèrent sans raison

    Beaucoup de passagers, dont un couple d’instits.

     

    Les parents de votre mère étaient d’ Algérie,

    Où vous vous senti-ez bien, dans votre pays,

    Que vous partagi-ez  avec les indigènes,

    Et ils étaient pour vous presque comme des frères.

     

    Vous dirigi-ez une école qui avait

    Deux bâtiments, le premi-er était en dur,

    L’autre était  à l’ écart, et en préfabriqué.

    Vous avi-ez douze classes à diriger.

     

    Votre mari parlait très bien la langue arabe,

    Il avait été avec tous bon camarade.

    Votre maison n’a jamais  été attaquée,

    Les fellaghas savaient bien ce qu’ils vous devaient.

     

    Jamais attaquée, mais parfois inqui-étée,

    Comme cette fois où une de vos élèves

    Avec son oncle  fut invitée à aller

    Au chevet de son père car il se mourait.

     

    Mais vous avi-ez sa responsabilité !

    Il vous a bien fallu finir par accepter,

    L’angoisse qui fut la vôtre la nuit d’après,

    Nous pouvons très facilement l’imaginer.

     

    Ou bi-en cette fois à la fin de la guerre,

    Quand par milliers les arabes vous accusèrent,

    Vous les Français, d’avoir tenté de supprimer

    Des petites filles en les ayant vaccinées.

     

    Vous aviez pourtant précédemment insisté

    Afin que pour chacune d’entre elles les règles

    En vigueur fussent absolument respectées.

    Ce fut injuste et dur alors d’être accusée !

     

    En soixante-deux vous avez  plié bagage,

    On vous trouva un poste d’ instit à Roanne.

    Mais les enfants étaient vraiment insupportables,

    Impossible de faire silence à sa place.

     

    Aussi avez-vous pris vite votre retraite,

    Il vous fallait du temps pour soigner votre mère.

    Certes le pays vous a bien réintégrés,

    Mais il ne vous a pas compris, oh çà jamais.

     

    Et maintenant que les archives vont s’ouvrir,

    On verra bien que vous n’étiez vraiment pas

    D’affreux colonialistes, injustes et racistes,

    Vous vouli-ez seulement une vie normale.

     

    Vous n’avez jamais voulu revenir au bled,

    Pourtant vous y avez vos souvenirs, vos morts,

    Il vous faut espérer que les cimeti-ères

    Soient là-bas respectés et laissés en repos.

     

    Vous avez deux petit-fils, le second vous ressemble,

    Toujours inqui-et, et très appliqué.

    Il finit Médecine. L’autre est fantasque,

    Touche à tout, espiègle, original.

     

    Votre mari est mort il y a quelques années,

    Il était parti faire ses courses aux marchés

    D’Antibes. sur sa mobylette on l’a aperçu

    Devant un étalage dans une rue,

     

    Vous avez été appelée, il était mort d’un coup.

    Pour sa mémoire, nous avons passé le CD

    De  la chanson qu’il adorait  :

    « Baisse un peu l’abat-jour ».


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique