• Des fiançailles d'autrefois.

     

     Madame X était arrivée dans la journée,

    Et avait très vite compris ce qu’étaient ces « bénévoles » :

    Elle-même avait été bénévole, et même bénévole d’accompagnement,

    Pour une association de lutte contre le cancer.

     

    Le cancer, elle connaissait bien : elle en avait eu un trente années plus tôt,

    Un lymphome dont elle avait guéri.

    Mais récemment, un nouveau cancer était apparu,

    Qui lui avait occasionné une sorte d’étouffement,

    Dont elle avait bien cru ne jamais sortir.

    A la maison médicale, tout était fait pour calmer son angoisse que cela ne reprenne,

    Elle se sentait donc plus en sécurité que chez elle.

    Ce qui la préoccupait, en dehors d’un possible étouffement : une poche d’eau dans le poumon.

    Et puis tous ces médicaments, disait-elle, lui faisaient perdre la mémoire.

    « A mon âge, vous savez, on ne se souvient de rien, et encore plus quand on est malade

    Et quand on vous soigne avec ça ! » (elle me montrait une pompe à morphine).

    « Vous n’êtes pas si âgée que cela ! »

    « J’ai quand même quatre-vingt treize ans… et demi », me dit-elle, fière de m’étonner.

    Et je m’étonnais en effet:

    Le cheveu était encore gris,

    Les rides peu nombreuses….

    Elle me prenait peut-être pour un gamin, et me demanda mon âge,

    Et en profita pour me demander aussi mon métier.

    Je lui dis tout cela.

    Quel ne fût pas mon étonnement, un bon mois après,

    Qu’elle me les redît  sans faute : elle n’oubliait donc pas tant que cela !

     

     

     

    Sur le mur en face de son lit, hormis les photos de ses petits enfants et arrière petits enfants,

     Il y avait une photo d’elle avec son mari, au temps de leur splendeur.

    « C’était un homme délicieux, nous avons passé d’excellentes années ensemble…

    Cela avait commencé quand je n’avais que seize ans.

    Il travaillait avec le mari de ma grande sœur,

    Et je le vis au cours d’un dîner.

    Je compris tout de suite que ce serait lui, et pas un autre.

    A cette époque, avant la guerre de 40, les filles n’avaient pas la liberté qu’elles ont aujourd’hui.

    J’avais perdu mon père quand j’étais en bas âge, et ma mère était bien consciente de ses responsabilités vis à vis de moi.

    La situation aurait pu être bloquée si je n’avais pas eu une grande sœur,

    Qui elle aussi veillait sur moi, mais autrement.

    Je me confiai à elle, elle me LE fit rencontrer.

    Un jour, il demanda la permission de me raccompagner au métro, seul à seule.

    Ma sœur donna sa permission.

    En marchant, il me demanda s’il pouvait correspondre par lettres avec moi.

    J’étais embarrassée, car qu’allait dire ma maman ?

    Ma grande sœur trouva la solution : il y aurait un tiroir chez elle,

    Où je pourrai déposer mes lettres, et récupérer les Siennes. En toute discrétion !

    Nous sommes restés trois ans fiancés de la sorte.

    Il a bien fallu en parler à ma maman, qui donna son accord pour un mariage quand j’aurai dix-huit ans.

    Une date fut fixée, en Septembre 1939.

    Il fallut évidemment reporter cet événement : nous étions victimes, comme tous ceux de notre génération,

    De cette guerre dont nous n’étions pas responsables !

    Mon fiancé avait déjà fait trois ans de service, il lui fallut repartir.

    Heureusement, il était dans l’armée, de l’air,

    Dans des véhicules qui gardaient le contact radio avec les avions.

    Il était donc moins exposé que dans l’infanterie, et ne fut pas prisonnier.

    Nous nous mariâmes en Novembre 40,

    Et attendîmes la libération pour avoir notre premier enfant, une fille,

    Suivie par un garçon sept ans après.

    Je me souviens que mon patron, à l’annonce de la naissance prochaine de mon aînée,

    Fit une moue, qui voulait dire qu’il fallait que je prenne mon travail plus au sérieux.

    Mais quinze jours plus tard, il eut l’humour de me convoquer dans sa cage de verre,

    Pour m’annoncer que sa fille allait le faire grand-père…

    Avec mon mari, qui était technicien en téléphonie pour des grosses sociétés,

    Nous savions que nous étions heureux ensemble,

    Et n’avions pas besoin de nous le dire pour en être surs.

    Et puis mon premier cancer est arrivé.

    Là, je me suis battue, car il me semblait impensable de disparaître avant d’être grand-mère. En effet, mes frères et sœurs ont tous des petits-enfants, et je ne aimais pas l’idée d’être la seule à n’en pas avoir.

    Alors que la guérison était en vue, mon fils me dit un jour qu’il avait quelque-chose à me dire.

    Il me fit asseoir sur un banc et m’annonça l’événement que je désirai au plus haut point.

    Il ne pouvait pas me faire plus plaisir !

    Ma petite fille naquit, et les circonstances de la vie ont fait que je m’en suis beaucoup occupée. Elle a fait des études de psychologie.

    Tenez, regardez les photos, c’est elle avec son enfant car je suis arrière-grand-mère ! »

     

    Ce soir là, Madame X avait encore beaucoup de choses à dire,

    Mais il me fallait penser à aller voir d’autres malades.

    De toute façon, il y aurait d’autres bénévoles le lendemain,

    Et elle me dit que je n’étais pas le seul à qui elle parlait de sa vie,

    Ce qui ne m’étonna pas : nous sommes et devons être interchangeables.

     

    Le jeudi suivant, je la trouvais prostrée : ce qu’elle craignait, une insuffisance respiratoire, était arrivé…

     

     


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