• Les yeux ouverts jusqu'au bout.

     Cette dame, que j’avais vue quinze jours avant,

    Avait sonné, je frappai, entrai dans sa chambre.

    « J’ai trop chaud, pouvez-vous me fermer les volets

    Et m’ouvrir un peu la fenêtre ? ». Ce que j’ai fait.

     

    « Cela va comme ça ? …Comment va le moral? »

    « Je sais que je vais mourir, ce n’est pas un drame,

    Et ici je suis très bien,  mieux qu’à l’hôpital. 

    Pas de presse, de l’attention, je ne souffre pas. »

     

    « C’est vrai qu’à l’hôpital, ils n’ont guère de temps,

    Ils prennent la tension,  analysent le sang…. »

    « Ici je peux déjeuner quand je le désire,

    Et on ne me fait rien sans avant m’avertir … »

     

    « Vous savez Monsieur, je me sentais très bi-en,

    On me disait belle, malgré mon âge certain,

    Et tout à coup, crac, cela vous tombe dessus,

    On a beau philosopher, c’est quand même dur ! »

     

    Je connaissais son parcours dans l’horlogerie:

     « Oui, mais vous votre vie a été très réussie »

    « C’est vrai, j’ai fait une acceptable carri-ère,

    J’étais commerciale chez Lip, Kelton, Timex,

     

    Je tiens de mon père le goût des beaux objets.

    Cependant je sens que ma mère m’a bridée,

    Que j’aurais pu encore mi-eux réussir

    Elle voulait me ‘mater’,  j’en ai été victime. »

     

    « Tous les parents étaient sévères, c’était l’époque,

    Les enfants n’avaient pas le droit à la parole,  … »

    « C’est vrai. En fait, cela ne m’a pas empêchée

    D’avoir, par réaction, un caractère entier. »

     

    Elle revint au sujet de sa mort prochaine :

    « Je quitterai cette vie sans aucun problème ».

    «Vous avez vécu le miracle de la vie ! ». 

    « Non, je ne pense pas que je puisse le dire ».

     

    Il ne fallait pas en rester là. Je risquai :

    « Pourtant, vous y avez bi-en participé,

    Quand vous avez donné la vie à votre fille ! »

    « Pas du tout, j’étais jeune, j’avais trop de soucis ».

     

    Après un silence, qui me parut long, elle dit : 

    « Et pourtant si, je l’ai vécu, et je le vis,

    Mais c’est avec mon arrière-petite-fille,

    C’est fou cette croissance et ces progrès rapides,

     

    Cette programmati-on des petits humains,

    Qui rampent à huit mois, puis marchent à un an,

    Parlent à deux ans…. Je m’en suis bien occupée,

    Il paraît que cela m’aurait trop fatiguée…»

     

    C’est sur cette note positive que nous nous quittâmes…

     

     

    Le jeudi su-ivant, je frappai à sa porte.

    « Pourriez-vous me remonter un peu le moral ? ».

    «  Je n’en suis pas sûr, mais quel est votre problème ? »

    Après un silence: « J’envisage mes obsèques,

     

    Après une vie somme toute réussie,

    J’aimerais qu’il y ait  tant famille qu’ amis,

    Mais je n’aime pas les grandes cérémonies,

    Où le cœur n’y est pas, où on est hypocrite ».

     

    J’ai du mal à penser à l’après de ma mort,

    Cela m’est  difficile, alors pour quelqu’un d’autre….

    « Vous savez, les enterrements sont souvent simples,

    Et l’ambiance est sincère, recueillie, même humble ! »

     

    « C’était faux pour mon père, mort à soixante années,

    Ma mère versait des larmes de crocodile,

    Bien qu’elle ait été très malhonnête avec lui.

    Mais pourquoi ne l’ai- je pas mieux accompagné? »

     

    « Vous deviez avoir trente ans, c’est  peu pour le faire ».

    « C’est vrai. Je pense aussi au cas de ma grand-mère.

    Après un long séjour en maison de retraite.

    A quatre-vingt onze ans, elle est morte sans aide.

     

    A l’Eglise il y avait peu de monde vraiment,

     Mais c’était son village ! où elle avait vécu! »

    « Oui, mais ses amis devaient avoir disparu,

    Ce n’est pas pareil quand on meurt à cinquante ans ! »

     

    Je lui dis que ses obsèques (j’osai en parler)

    Concernaient presque autant sa fille qu’elle-même,

    Ce à quoi elle acquiesca. « Mais, demanda-t-elle,

    Que fait la maison  pour ceux qui sont décédés ? »

     

    « Il y a un « départ »  pour la mise en bi-ère,

    Qui se fait si on veut avec une prière. »

    « J’aimerais  une prière pour mon départ»

    « Je vais vous faire visiter par l’aumônière. »

     

    Je la quittai plein d’une admiration  discrète,

    C’est beau de garder jusqu’au bout les yeux ouverts !

     « Je ne sais  si mon moral est bien remonté ,

    Mais  nous avons pu discuter et échanger... »

     

    Elle mourut cinq jours après….

     

     


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