• Une belle carrière, un beau visage!

     

    Ce qui frappe en entrant dans la chambre de Monsieur X est la beauté de son visage. Pas un gramme de trop, un air serein, digne. On sent une « pointure », qui pourrait se permettre une certaine propension à « faire la morale ». La voix est posée, avec un accent modéré du midi (il est d’Uzès, près de Nîmes, me dira-t-il, le premier duché de France !), le regard franc bien que souvent détourné  pour la recherche du mot juste.

     

    « Vous savez, je suis venu ici pour mourir. C’est dans l’ordre des choses, vu que j’ai quatre-vingt-quatorze ans. »

     

    « Et vous souffrez, ou vous avez peur de souffrir ? »

     

    « Non, cela ne me fait pas peur. Mais je vais surement faire souffrir ma femme, mes enfants et petits enfants… »

     

    « Mais ce n’est pas vous qui les ferez souffrir, c’est cette roue qui n’arrête pas de tourner… Mais dites-moi, cela fait longtemps que vous êtes malade ? »

     

    « Oui, ce cancer ne me quitte pas depuis plusieurs années. Au début, il ne me gênait pas,mais il a grandi d’autant plus que j’étais en bonne santé, ce qui peut paraître contradictoire.        Ma bonne santé en fait lui profitait aussi. Longtemps il s’est tenu à distance. Pourtant, il y a un an environ, j’ai senti une gêne, j’ai été voir le médecin, un certain docteur YYY, que je vous recommande vivement, j’ai fait les analyses, et je suis retourné le voir. J’ai tout de suite vu sur son visage que les nouvelles n’étaient pas bonnes. Pour le mettre à l’aise, j’ai tourné ma  question de façon que la réponse soit dans la question : « Alors, la faculté a de mauvaises nouvelles à m’annoncer ? » Il n’eut qu’à acquiescer… 

     

    C’est ce qu’on appelle de la délicatesse !

     

    Ayant eu déjà des entretiens avec cet homme dans un précédent séjour qu’il fit ici, je lui montrai que je n’avais pas oublié ce qu’il m’avait raconté sur ses activités dans les organisations viticoles. Il fut très heureux de me raconter de nouveau toute sa belle carrière.Tellement heureux que sa voix se fit plus forte et que je fus obligé d’aller fermer la porte pour ne pas importuner les voisins.

     Il m’expliqua tous les progrès auxquels il avait assisté, et qu’il avait favorisés par la création  d’une école de vinification : les fûts désormais en inox, la température de fermentation contrôlée en permanence, l’amateurisme à jamais banni (« on va vinifier comme le voisin de tonton Jules, qui sait y faire ! »), d’un autre côté les relations avec le ministre de l’agriculture pour éviter la surproduction, la distillation des surplus qui remplissent les cuves des producteurs d’alcool pur, d’ailleurs de bien meilleure qualité quand il est de source agricole que de source industrielle. Cet alcool sert aussi à produire de la poudre à canon depuis la création, en pleine guerre de 14, de la Régie de l’Alcool. Enfin, en une génération, la consommation de vin a diminué d’un facteur 2 en quantité, mais a doublé en qualité, si bien que le revenu du au vin  n’a pas beaucoup changé ; il est toujours égal au revenu de toutes les autres activités agricoles !

     

    Bref une vie réussie chez cet homme que la guerre avait empêché de faire les études auxquelles il aurait dû être destiné ! Il avait été mobilisé le 10 Juin 40, s’était vite retrouvé dans les chantiers de Jeunesse du Maréchal Pétain (bien organisés selon lui), puis, pour échapper au Service du Travail Obligatoire (en Allemagne), était entré dans la résistance, où il  s’occupait de réceptionner les pilotes Anglo-Américains atterris de nuit sur le plateau du Larzac. Là, il avait connu un homme plus âgé que lui, qui avait pu constater ses grandes qualités humaines, et l’avait, après la guerre, fait engager à Paris, dans un grand syndicat viticole…..

     

    Je sortis de cette chambre en me disant que j’avais appris des choses, et que, décidément, la droiture avait du bon !

     


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